Par Razia Tijani – Journaliste indépendante, contributrice à ecofinance.info

La Conférence des Nations Unies sur les Océans 2025, tenue à Nice du 9 au 13 juin, s’est achevée sur un constat prévisible : de nouvelles résolutions symboliques, des engagements discutables… et l’absence persistante de représentation stratégique de l’Afrique centrale dans les décisions liées à la gouvernance des écosystèmes marins.
Pourtant, cette région est loin d’être extérieure aux dynamiques océaniques mondiales. Le bassin du fleuve Congo, second poumon bleu de la planète, joue un rôle fondamental dans la régulation des eaux continentales et dans la trajectoire des déchets plastiques vers l’océan Atlantique. Or, ni ses défis ni ses priorités n’ont figuré à l’agenda officiel de la conférence.
L’Afrique fluviale, maillon oublié des politiques océaniques
Contrairement aux pays côtiers qui concentrent les regards lors des conférences internationales, l’Afrique centrale ne dispose pas d’un accès direct à la haute mer. Pourtant, elle produit une externalité environnementale majeure : ses fleuves, ses rivières, ses affluents transportent quotidiennement des tonnes de polluants — notamment plastiques — vers l’océan Atlantique.
En l’absence de filières de recyclage, de contrôle environnemental et de responsabilité des industriels, la pollution générée à Kinshasa, Brazzaville, Bangui ou Kisangani atteint directement les zones marines. Une réalité documentée mais peu traduite en politiques multilatérales.
Le cas emblématique du plastique : entre désengagement privé et passivité publique
En République Démocratique du Congo, des centaines de millions de bouteilles plastiques sont mises sur le marché chaque année par des industriels de la boisson, de la distribution ou de l’importation. Aucun cadre de responsabilité élargie du producteur (REP) n’existe actuellement pour les contraindre à gérer les déchets générés.
Ce vide réglementaire crée un triple déséquilibre :
- Les entreprises bénéficient de marges sans contrepartie écologique ;
- Les collectivités locales supportent seules la charge des déchets (quand elles le peuvent) ;
- Les écosystèmes paient le prix réel, en particulier les rivières et les zones humides connectées à l’Atlantique.

À Nice, aucun engagement contraignant n’a été acté pour remédier à cette asymétrie. Le cadre reste volontaire, et inopérant pour les pays du Sud.
Une gouvernance bleue mondialisée, mais inégalitaire
L’Afrique centrale subit un double effacement : inexistante dans les chiffres de la pollution industrielle (car non industrialisée massivement), elle est également absente des lieux de décision. Ni les États de la région, ni leurs représentants économiques ou scientifiques, n’ont participé activement à la conférence. Aucune délégation n’a mis à l’ordre du jour la situation spécifique du bassin du Congo.
Ce vide politique crée un biais dans la gouvernance océanique : les grands pollueurs du Nord dictent les règles, pendant que les externalités du Sud, bien que réelles, restent ignorées.
Risques économiques et réputationnels pour les industriels africains
L’enjeu n’est pas seulement environnemental : il est aussi économique et stratégique. Le maintien d’un modèle de croissance fondé sur des plastiques non recyclés, sur des chaînes logistiques opaques et sur l’absence de redevabilité environnementale expose les entreprises africaines à :
- une perte d’accès aux financements durables,
- un désintérêt croissant des investisseurs ESG,
- et à une crise réputationnelle à l’international.
À l’inverse, les acteurs économiques qui anticipent les mutations réglementaires mondiales (fiscalité verte, interdictions d’importation, notation environnementale) tireront un avantage compétitif croissant.
Recommandations post-conférence : ce que l’Afrique centrale doit construire
- Renforcer la diplomatie environnementale en envoyant des délégations techniques et juridiques aux grandes conférences multilatérales.
- Mettre en place une fiscalité environnementale ciblée sur les producteurs de plastique et les importateurs à usage unique.
- Créer des incitations économiques pour développer des filières locales de recyclage, d’innovation verte et de substitution au plastique.
- Associer les ONG et médias spécialisés à la stratégie de visibilité régionale sur les enjeux océaniques.
La Conférence des Océans 2025 aurait pu être une opportunité pour les pays de l’intérieur du continent de revendiquer leur place dans la gouvernance des biens communs planétaires. Elle a surtout révélé le vide institutionnel, économique et diplomatique qui entoure encore l’Afrique centrale.
Si la région veut peser demain dans les décisions sur le climat, la pollution ou les flux maritimes, elle devra sortir de sa posture passive. Cela commence par la prise en main locale des enjeux globaux, et par une plus grande cohérence entre les pratiques économiques et les ambitions environnementales.


