Par Razia Tijani – Journaliste indépendante, spécialisée environnement et développement durable
Pour ecofinance.info
Les bouteilles d’eau et de sodas envahissent les marchés, les rues et les rivières de Kinshasa, Lubumbashi, Brazzaville ou Douala. Mais derrière ce flot quotidien d’emballages jetables, une question dérange : que deviennent tous ces plastiques une fois consommés ? Et surtout, qui en assume la responsabilité ?
En Afrique centrale, les producteurs et distributeurs de boissons bénéficient d’une impunité presque totale en matière de gestion de leurs déchets. Contrairement à ce qui se fait ailleurs dans le monde, aucune législation n’impose aux entreprises une “responsabilité élargie du producteur” (REP). Résultat : les villes croulent sous le plastique, les rivières se transforment en décharges à ciel ouvert, et l’État paie – ou plutôt ne paie pas – une facture environnementale croissante.
Des multinationales à double visage
Ce qui choque, c’est que les mêmes marques qui appliquent des normes strictes en Europe (taxes, recyclage, traçabilité), ne prennent aucune mesure concrète dans leurs filiales africaines. Ici, l’absence de règles devient une aubaine.
Lors d’un échange direct avec un industriel basé à Kinshasa, la réponse fut sans détour :
“Nous payons déjà la taxe environnement. C’est comme ça ici.”
Sous-entendu : nous avons payé pour polluer.
Le modèle actuel : une taxe qui ne protège rien
La taxe environnementale, quand elle est réellement prélevée, ne finance aucune filière de recyclage efficace. Elle ne décourage pas le plastique à usage unique. Et surtout, elle est perçue comme une simple formalité administrative, sans impact réel sur les pratiques industrielles.
En réalité, elle entretient un système de non-responsabilité. Les déchets finissent dans les rivières, les quartiers pauvres, les caniveaux, sans aucun mécanisme de récupération structuré.
Proposer un nouveau modèle : responsabiliser plutôt que taxer
Et si la solution consistait à inverser la logique ?
Moins de taxe, plus d’action.
Au lieu de verser une taxe opaque, les industriels devraient être obligés d’assumer directement la collecte, la récupération et la valorisation de leurs propres emballages.
Voici ce que cela impliquerait :
- Installation de points de collecte : chaque marque serait tenue de déployer des bornes de retour ou de récupération de ses emballages, dans ses circuits de distribution.
- Nettoyage des zones à fort usage : obligation de contribuer à des campagnes de propreté dans les quartiers urbains ciblés.
- Organisation de la logistique inverse : acheminement des déchets collectés vers des centres de tri ou d’upcycling.
- Valorisation locale : recyclage en granulés, pavés plastiques, objets ménagers ou emballages réutilisables.
- Transparence : chaque marque rend compte de ses volumes mis sur le marché et récupérés, avec vérification publique.
En échange, elle serait exonérée (partiellement ou totalement) de la taxe environnement classique.
S’inspirer de la logistique automobile
Ce modèle existe ailleurs. Dans l’industrie automobile, la reverse logistic est un standard : batteries, pièces usagées et fluides sont repris et traités selon des chaînes réglementées. Pourquoi ne pas appliquer le même principe à l’agroalimentaire et aux boissons ?
Ce serait un pas vers une économie circulaire, où chaque acteur devient responsable de son impact matériel, jusqu’au bout de la chaîne.
La fin de l’alibi fiscal
L’heure n’est plus aux déclarations d’intention ni aux taxes symboliques.
Les industriels doivent nettoyer ce qu’ils salissent.
Et les gouvernements doivent leur imposer une règle simple :
“Si vous mettez du plastique sur le marché, vous devez le reprendre. Sinon, vous payez plus.”
Car derrière chaque bouteille non recyclée, il y a un fleuve asphyxié, un quartier inondé, une économie locale en déclin. Il est temps d’agir, sérieusement.



