Par Razia Tijani – Journaliste indépendante, environnement et développement durable
Pour ecofinance.info
Alors que les marchés mondiaux s’agitent autour du lithium, du cobalt ou du gaz, un bien naturel essentiel reste sous-évalué et mal protégé : l’eau douce. En Afrique centrale, elle est partout en surface… et pourtant inaccessible ou impropre à la consommation pour des millions d’habitants.

Le paradoxe est flagrant : la République Démocratique du Congo est l’un des pays les plus riches au monde en eau douce, mais aussi l’un de ceux où l’accès à l’eau potable est le plus inégalitaire et le plus précaire. Et cette situation a un coût massif, souvent ignoré des décideurs économiques et financiers.
Une ressource stratégique… traitée comme un déchet
L’eau est au cœur de toutes les activités humaines : agriculture, santé, industrie, services. Pourtant, dans les politiques publiques comme dans la planification économique, elle reste considérée comme une ressource gratuite et inépuisable.
Ce sous-investissement chronique entraîne :
- des pénuries dans les quartiers populaires,
- un approvisionnement anarchique par des opérateurs informels,
- et une pollution galopante des rivières et nappes phréatiques.
L’absence de gouvernance claire de l’eau génère une inefficacité généralisée, qui freine le développement économique et accroît la vulnérabilité sociale.
Le coût caché de l’eau insalubre
Les conséquences économiques d’une mauvaise gestion de l’eau sont considérables :
- Les maladies hydriques (choléra, typhoïde, parasitoses) coûtent des milliards en soins médicaux et journées de travail perdues.
- L’absence d’accès sûr à l’eau oblige des millions de familles à acheter de l’eau à prix fort auprès de revendeurs, souvent dans des conditions non contrôlées.
- Les agriculteurs utilisent de l’eau non traitée, ce qui réduit les rendements, contamine les sols et compromet la sécurité alimentaire.
- L’industrie elle-même, en particulier les petites entreprises, souffre d’un approvisionnement irrégulier, impactant la productivité.
Autrement dit, ne pas investir dans l’eau revient à payer plus cher, à long terme, sur tous les plans : santé, éducation, économie locale et cohésion sociale.
Un déséquilibre de marché au détriment des plus pauvres
Là où les services publics font défaut, un marché informel et inégalitaire de l’eau s’est installé. À Kinshasa, Lubumbashi ou Bukavu, certains quartiers paient l’eau potable deux à trois fois plus cher que les zones connectées au réseau de la Regideso. Ce sont les plus pauvres qui financent l’eau la plus coûteuse… et parfois la plus dangereuse.
Ce système favorise la privatisation déguisée d’un bien commun vital. Il empêche l’émergence d’une véritable économie circulaire de l’eau, fondée sur l’accessibilité, la durabilité, la transparence.
Pollution : une bombe à retardement économique
Les eaux usées sont déversées sans traitement dans les rivières. Les déchets plastiques encombrent les caniveaux et finissent dans les cours d’eau. Les nappes phréatiques sont infiltrées par les fosses septiques et les déchets industriels.
Cette pollution systémique a un coût écologique évident, mais aussi un risque économique latent :
- Hausse du coût du traitement de l’eau brute,
- Dégradation des zones humides essentielles à l’agriculture,
- Effondrement de la pêche artisanale,
- Recul des investisseurs éthiques (fonds verts, finance climatique).
Repenser l’eau comme un actif économique
Proffac, ONG engagée dans la défense des écosystèmes en Afrique centrale, plaide pour une revalorisation stratégique de l’eau. Cela suppose :
- L’intégration de la gestion de l’eau dans les budgets d’investissement publics,
- La création d’une fiscalité de l’eau polluée (principe pollueur-payeur),
- Le développement de partenariats publics-privés pour le traitement et la distribution de l’eau potable,
- La reconnaissance de l’eau comme droit fondamental, non comme marchandise dérégulée.
Investir dans l’eau, c’est investir dans la stabilité
Il ne peut y avoir de croissance inclusive, ni de développement durable, sans gestion intelligente de l’eau. L’Afrique centrale, riche de ses fleuves mais pauvre de ses infrastructures, doit faire de l’eau une priorité politique, économique et sociale.
Car l’eau n’est pas une ressource comme les autres.
C’est « l’or clair » de demain. Et si nous continuons à le perdre goutte à goutte, nous perdrons bien plus qu’un liquide : nous perdrons notre souveraineté, notre santé et notre futur.



